Le XVIe siècle se caractérise par une extraordinaire floraison de traductions, de réinterprétations et d’adaptations de pièces latines, grecques et italiennes. Le remodelage du théâtre classique et moderne dans la France du début de l’époque moderne est étroitement lié à l’évolution des pratiques et des théories de la traduction. Le projet vise donc avant tout à réaliser une étude comparative et élargie d’un corpus inédit constitué par les traductions françaises du XVIe siècle de pièces anciennes (grecques et latines) et modernes (notamment italiennes). Les résultats de cette enquête sont réunis dans les archives numériques de la « Bibliothèque Virtuelle des traductions théâtrales à la Renaissance » (BVTTR), qui accueille :
- les éditions numériques de certaines des œuvres les plus représentatives du théâtre français du XVIe siècle, en trois formats différents : un format « recherche », avec visualisation des textes originaux et annotations scientifiques ; un format « enseignement », avec les textes modernisés ; et un format « pour la scène », avec le scénario et des annotations pour les professionnels du théâtre (acteurs, metteurs en scène, interprètes, etc.) ;
- une base de données des traductions françaises de pièces de théâtre anciennes et modernes publiées dans la France de la Renaissance.
L’assise théorique du projet, quant à elle, permet d’éclairer ce riche corpus de textes dans une triple perspective : la réception des mythes anciens, des pièces classiques (Sénèque, Euripide…) et modernes (l’Arioste et le Tasse) dans le théâtre français du XVIe siècle, ainsi que de leurs différentes traductions ou adaptations ; les « imaginaires de la traduction » dans le cas spécifique du théâtre ; les réseaux matériels et professionnels impliqués dans la circulation des textes. Le cadre de ce travail s’appuie sur des projets antérieurs qui ont déjà mis en évidence le potentiel de ce domaine de recherche (par exemple, le projet DUBI, la base de données de la Pléiade numérique, la bibliothèque numérique DHT).
En étudiant la réception du patrimoine ancien et moderne dans la France du XVIe siècle, le projet BVTTR contribue à la promotion et à la diffusion des études françaises, notamment à travers une base de données numérique qui comble un vide dans ce secteur de recherche et fournit un outil qui favorise l’accessibilité et l’interopérabilité des informations. Une attention particulière est consacrée à l’étude de la réception de l’Arioste (aussi bien ses comédies que les adaptations théâtrales d’épisodes tirés de son chef d’œuvre, le Roland furieux) dans le théâtre français de la Renaissance, dont la langue s’enrichit à cette époque de néologismes et de phénomènes linguistiques qui dérivent précisément du travail de traduction. Les éditions numériques proposées dans le cadre du projet prouvent, quant à elles, le dynamisme de l’écriture théâtrale dans la France de la première moitié du XVIe siècle, remettant en cause la doxa selon laquelle le théâtre français n’aurait commencé à s’épanouir qu’à partir de 1550.
Au niveau du cadre théorique et historique du projet, il est important de remarquer avant tout que le défi de conceptualiser certaines pratiques traductives avait intéressé et mobilisé dès le XVIe siècle des auteurs de premier plan tels que Jacques Amyot, Thomas Sébillet, Jacques Peletier ou Joachim du Bellay, qui pour la plupart étaient aussi des traducteurs de renom et qui ont transféré le débat directement dans les paratextes de leurs éditions. Sur un plan diachronique, en outre, il est intéressant de constater la permanence de thèmes et de mythes dans des traductions ou adaptations pour le théâtre à partir du XVIe et à travers les siècles. À côté de cela, il est important de souligner le rôle joué dans la circulation des textes à la Renaissance par des acteurs plus “méconnus” : commerçants, artistes, philologues, diplomates, imprimeurs, espions, prélats… qui, en traversant les frontières, ont souvent contribué à la construction d’une culture humaniste commune en Europe. Toutes ces questions sont abordées par les spécialistes qui participent au projet, qui se fonde sur une approche innovative aux études traductologiques et à l’histoire comparée des traductions. Cette méthodologie repose à son tour sur un outil théorique, à savoir la théorie des imaginaires de la traduction, qui permet de décrire plusieurs facteurs complexes (culturels, spirituels, politiques, littéraires, etc.) dans un cadre unique, en distinguant deux catégories fondamentales en histoire de la traduction : les « imaginaires des traducteurs » (leur subjectivité, leur horizon d’attente) et les « imaginaires de la traduction » (les mythes et les représentations de la traduction, de même que les techniques traductives mises en œuvre).